Les steppes à la rencontre de la France.
Le musée Guimet a décidé de mettre l'accent sur une région d'Asie centrale longtemps négligée par les institutions au profit des grandes civilisations périphériques d'Asie. Axée autour du pastoralisme nomade et de pièces archéologiques de grand intérêt historique et artistique, l'exposition ''Kazakhstan: hommes, bêtes et dieux de la steppe, est le fruit d'une collaboration entre le Musée des Arts asiatiques Guimet et le musée central d'Almaty (sud-est du Kazakhstan).
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Pour la première fois en France, sont exposées des oeuvres du territoire allant du sud de la Sibérie, de la mer d'Aral à l'ouest, aux monts Tianshan à l'est, soit une grande partie de l'actuel Kazakhstan, où se sont croisées les grandes civilisations de l'antiquité. Le Kazakhstan est entre autres l'héritier d'Alexandre le Grand au IVe siècle av. J.-C., qui apporta la culture hellénistique à la Transoxiane - quelquefois appelée Sogdiane (au sud-ouest du pays); et de Gengis Khan qui l'envahit au XIIIe siècle.
Le commissariat de cette exposition est assuré par Madame Marie-Catherine Rey, conservateur en chef au musée Guimet, Arts de la Chine. Elle présente des pièces de fouille en bronze, en or, ou en pierre; des témoignages photographiques, ainsi que des objets de la vie quotidienne.
Le Kazahkstan se situe aux confins asiatiques des routes de la soie, qui traversaient les villes actuelles de Taraz, Almaty, Shymkent et Qyzylorda, et dont les Sogdiens de langue persane, furent les meilleurs commerçants.
Les Kazakhs, peuple turcophone d'Asie centrale, sont les descendants du peuple Saka (des environs du VIIIe siècle av. J-C., aux premiers siècles de notre ère), peut-être une fraction des Saces (Sakoi en grec), qui eux-mêmes avaient une origine commune avec les indo-iraniens et les Scythes; Saka signifierait ''cerf''. Leur art, typique de la ''triade scythe'', se rattache au style ''scytho-sibérien'': harnachement de chevaux; armement –poignards, épées; et surtout, le fameux l'art animalier ''des steppes''. Ces excellents éleveurs de chevaux et cavaliers – les premiers de l'histoire, au XIIe siècle av. J.-C. (comme il a été révélé par des pétroglyphes de la même époque), furent par la suite et en vertu du fameux système des ''tributs'', les ''fournisseurs'' en chevaux, des empereurs chinois Qing.
De par leur nature de nomades autant que de redoutables guerriers, les Saka inventèrent nombre de pièces de harnachement, et les ornèrent comme peu d'autres peuples l'ont fait.
Faute de constructions en dur, ce sont leurs imposantes sépultures – les plus grandes d'Asie centrale, qui nous ont livré des oeuvres pour la plupart inspirées par cette faune des steppes et des montagnes qui peuple leur quotidien: autels à encens ou à chanvre (dont un extraordinaire exemplaire montrant un homme à genoux devant un cheval), chaudrons en bronze, boucles de ceinture. Et inévitablement, ces sublimes éléments de harnachement ou de parure corporelle en or, héritiers légitimes et directs de l'art Scythe: le motif ''bec et oeil'', celui du ''gallop volant'', ainsi que les scènes de prédation. L'or provenait de mines locales, alimentant des ateliers le plus souvent nomades, mais aussi sédentaires. Quatre sites de fouille sont représentés à l'exposition: Zhalauly (VIIIe-VIIe siècle av. J.-C.), région d'Almaty, sud-est du kazakhstan; Kargaly (IIe siècle av. J.-C.), région d'Orenbourg, sud de l'Oural; le tertre funéraire de Chilikty (VIIe-VIe siècle av. J-C.), à l'est du pays; enfin, le tertre funéraire 2 de Pokrovka (Ve siècle av. J.-C.), région d'Aktobe, au nord-ouest.
D'un peuple originellement sédentaire, mais qui a choisi un nomadisme pastoral parfaitement maîtrisé comme mode de vie et de subsistance, vers le XIIe siècle av. J.-C.; d'un peuple qui ne connaît de frontières que celles des déserts, des monts Tian Shan et des voisins sédentaires; qui transmet son histoire sur un mode essentiellement oral, on ne pouvait attendre qu'un art qui prend et offre aux grandes civilisations limitrophes ce qu'il y a de meilleur. Egalement, des témoignages de croyants aussi divers que des musulmans – l'islam arrive au VIIIe siècle; les bouddhistes, les zoroastres ou les chrétiens nestoriens (Ve-XIIe siècle) dont des pierres tombales sont exposées, ou enfin les chamans baqsy. Car à l'inverse de notre Europe, les kazakhs n'ont pas fondé leur art sur la pérénité et le monumental: tout est fonctionnel, transportable et rentre dans la yourte du clan, qui est l'organisation sociale de base. Les objets, comme dans cette exposition, sont donc peu nombreux, mais d'une qualité surprenante.
Lors du parcours dans ses trois salles, ''Kazahkstan: hommes, bêtes et dieux de la steppe'', nous fait saisir ce qui paraîssait impénétrable ou indigne d'intérêt aux voyageurs d'autrefois, par le biais de l'ethnologie et de l'archéologie.Quitte à repenser notre attitude face à un orientalisme passéiste, et à cette Asie-là, immense et volatile. Le musée Guimet répare le silence des générations passées sur cette partie de l'Asie et ouvre un horizon aussi immense que les steppes qui nous sont présentées.